Transposition par l'Horloger de la Croix-Rousse du volume 8 page 298 de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert
HORLOGE à rouages, à ressorts, à contrepoids, à sonnerie (hist. de l’Horlog.) ce sont à tout autant de machines automates inventées pour mesurer le temps. De songer à le fixer, serait un dessein extravagant ; mais, dit l’Abbé Sallier(1), marquer les moyens de sa fuite, compter les parties par lesquelles il nous échappe, c’est un fruit de la sagacité de l’homme, et une découverte qui ayant eu la grâce de la nouveauté, conserve encore la beauté de l’invention, jointe à son utilité reconnue ; cette découverte est celle des horloges en général.
1) Diderot et d'Alembert lui rendent cet hommage : « Nous sommes principalement sensibles aux obligations que nous avons à M. l'Abbé Sallier, Garde de la Bibliothèque du Roi : il nous a permis, avec cette politesse qui lui est naturelle, et qu'animait encore le plaisir de favoriser une grande entreprise, de choisir dans le riche fonds dont il est dépositaire, tout ce qui pouvait répandre de la lumière ou des agréments sur notre Encyclopédie. »
Nous avons fait l’article historique des horloges à eau ; pour ce qui regarde les horloges à sable, voyez sable. De cette manière il nous reste seulement à parler de celles à rouages, à ressorts, à contrepoids et à sonnerie ; comme elles succédèrent aux premières, leur histoire nous intéresse de plus près. Voici ce que j’en ai recueilli, particulièrement d’un mémoire de M. Falconet, inséré dans le recueil de l’académie des inscriptions.
Après que Ctésibios(2), qui fleurissait vers l’an 613 de Rome eut imaginé la machine hydraulique des horloges à eau, on trouva le secret d’en faire à rouage sur le même modèle, et ces nouvelles horloges prirent une grande faveur ; Trimalcion(3) en avait une dans sa salle à manger. Cette invention néanmoins ne se perfectionna point ; car pendant plus de sept siècles, il n’est parlé d’aucune horloge remarquable. Nous ne connaissons de nom que celles de Boëce(4) et de Cassiodore(5). On sait que Cassiodore avait lui-même le gout pour la mécanique ; l’histoire rapporte que s’étant retiré sur ses vieux jours dans un monastères de Calabre, il s’amusait à faire des horloges à rouages, des cadrans et des lampes perpétuelles.
2) Ctésibios d’Alexandrie, né en 284 avant JC et décédé en 221.
3) Trimalcion ou Trimalchion, personnage du Satyricon de Pétrone, archétype du parvenu.
4) Anicius Manlius Severinus Boethius, dit Boèce, né vers 480 à Rome, consul, philosophe et mathématicien, mis à mort en 524 à Pavie par Théodoric le Grand.
5) Magnus Aurélius Cassiodorus, dit Cassiodore, né vers 480 en Calabre, homme politique qui finit sa vie au monastère de Vivarium vers 580.
Mais la barbarie enveloppa si bien tous les arts dans l’oubli, que lorsque deux cents ans après, le pape Paul I envoya vers l’an 760, une horloge à rouage à Pépin le bref, cette machine passa pour une chose unique dans le monde.
Vers l’an 807, le calife Aaron Raschild(6), si connu par son amour pour les sciences et les arts, ayant contracté une étroite amitié avec Charlemagne, lui fit entre autres présents, celui d’une horloge, dont nos historiens parlent avec admiration, et qui était vraisemblablement dans le gout de celle du Pape Paul I.
6) Hârûn ar-Rachîd, cinquième calife Abbasside. Né en 763, devenu calife en 786 au décès de son frère. A sa mort en 809, la guerre de succession entre ses fils accélère la désagrégation de son royaume.
Ce n’était pas du moins une horloge sonnante, car il n’y en avait point de telle dans le temps de Charlemagne, et dans toutes les villes de son empire ; il n’y en eut même que vers le milieu du XIVème siècle. De là vient l’ancienne coutume que se conserve en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Flandres et en Angleterre, d’entretenir des hommes qui avertissent de l’heure pendant la nuit.
Les Italiens à qui l’on doit la renaissance de toutes les sciences et de tous les arts, imitèrent aussi les premiers les horloges à roues du pape Paul et du calife des Abassides. Cette gloire appartient à Pacificus(7), archidiacre de Vérone, excellent mécanicien, mort en 846. Il n’est donc pas vrai, pour le dire en passant, que Gerbert qui mourut sur le siège pontifical en 1003, soit l’inventeur des horloges à roues, comme quelques-uns l’on avancé ; en effet, outre que la prétendue horloge de Gerbert n’était qu’un cadran solaire, les roues étaient employées dans les horloges dont nous venons de parler, qui quoique vraies clepsydres au fond, devenaient horloges automates par le moyen de roues.
7) Pacificus de San Severino, disciple de St François d’Assises.
Dans le XIV siècle, parut à Londres l’horloge de Walngford, Bénédictin anglais, mort en 1325, et elle fit beaucoup de bruit dans son pays ; mais bientôt après, l’on vit à Padoue celle de Jacques de Dondis(8), la merveille de son temps ; il nous est facile de faire connaître au lecteur cette merveille en transcrivant ici ce qu’en dit un témoin oculaire, le sieur de Mézières, dans son songe du vieux pèlerin. D’ailleurs, c’est un morceau assez curieux pour l’histoire de l’ancienne horlogerie ; le voici mot pour mot.
8) Dondus ou de Dondis est donné comme médecin et mécanicien. Il écrivit entre autres Promptuarium medicinae en 1481, compilation de remèdes tirés des médecins grecs.
« Il est à savoir qu’en Italie, il y a aujourd’hui en homme en Philosophie, en Médecine et en Astronomie, en son degré singulier et solennel par commune renommée sur tous les autres excellent et dessus trois sciences, de la cité de Pade(9). Son surnom est perdu, et est appelé Maître Jehan des Orloges(10), lequel demeure à présent avec le comte de Vertus, duquel pour science triple il a chacun an des gages et bienfaits, deux mille florins ou environ. Ce Maître Jehan des Orloges, a fait dans son temps grands œuvres et solennelle, es trois sciences dessus touchées, qui par les grands clercs d’Italie, d’Allemagne et de Hongrie, sont autorisées, et en grande réputation, entre lesquels œuvres, il a fait un grand instrument par aucuns appelé sphère ou horloge du mouvement de ciel, auquel instrument, font tous les mouvements des signes et des planètes, avec leurs…
9) Pade = Padoue
10) Il y a ici confusion, comme le signale d’ailleurs Falconet cité plus haut, entre Maître Jehan des Orloges et son père Jacques de Dondis. En effet Jean, lui-même médecin et mathématicien, écrivit un traité, intitulé Planétarium, expliquant la fabrication de l’horloge de son père en trois volumes documentés de dessins.